Un marketing immunisé contre le greenwashing ?

Le greenwashing, symptôme d’un marketing à bout de souffle 

Le greenwashing n’est plus un simple mot-clé réservé aux experts de la RSE ou aux ONG militantes. Il est entré dans le langage courant, dans les médias, dans les conversations entre consommateurs… et dans les préoccupations quotidiennes des directions marketing et communication. 

À tel point que certaines entreprises n’osent plus communiquer sur leurs engagements environnementaux, par peur du bad buzz, de la critique publique ou d’une accusation de pratiques trompeuses. 

Mais faut-il pour autant se taire ? 

Dans l’épisode 40 de Markoeur, j’ai eu le plaisir d’échanger avec Mathieu Jahnich, spécialiste reconnu du greenwashing et de la communication responsable. Ensemble, nous avons déconstruit les idées reçues pour poser une question centrale : comment construire une communication réellement alignée sur la stratégie et le modèle d’affaires de l’entreprise, sans tomber dans le piège du greenwashing ? 

Cet article propose une lecture approfondie de cet échange, en croisant marketing, RSE, réglementation et transformation des modèles économiques. 

 

I. Le greenwashing : une question de décalage avant tout 

-1. Une définition simple mais exigeante 

Pour Mathieu Jahnich, le greenwashing repose avant tout sur une notion de décalage : 

  • décalage entre ce que l’entreprise fait réellement, 
  • et ce qu’elle donne à voir dans sa communication. 

    Ce décalage peut exister à plusieurs niveaux : 

    • entre la stratégie globale de l’entreprise et une campagne isolée, 
    • entre les impacts réels d’un produit et les promesses formulées, 
    • entre les efforts réalisés et la manière dont ils sont mis en scène. 

        Le greenwashing ne se limite donc pas à un mensonge frontal. Il peut aussi prendre la forme d’une exagération, d’un déséquilibre, ou d’une mise en avant d’actions secondaires qui masquent les enjeux majeurs. 

        -2. Du greenwashing… aux multiples “washing” 

        Greenwashing, social washing, pink washing, blue washing, made in France washing… Les déclinaisons se multiplient. 

        Mathieu Jahnich propose une lecture globale : tous ces “washing” relèvent d’une même logique. Celle d’un récit enjolivé, qui évite de regarder en face les impacts réels du modèle économique. 

        Le problème n’est donc pas uniquement environnemental. Il est aussi social, sociétal et éthique. 

         

        II. Pourquoi le greenwashing est devenu un risque stratégique majeur 

        -1. Un risque réputationnel immédiat 

        À l’ère des réseaux sociaux et de l’ultra-transparence, une campagne perçue comme trompeuse peut être démontée en quelques heures. 

        ONG, journalistes, citoyens engagés, salariés eux-mêmes… les contre-pouvoirs se sont multipliés. 

        Résultat : 

        • perte de crédibilité, 
        • défiance durable, 
        • fragilisation de l’ensemble de la démarche RSE. 

            -2. Un risque juridique de plus en plus réel 

            Le greenwashing n’est plus seulement un sujet d’image. Il devient un risque légal. 

            Les pratiques commerciales trompeuses sont désormais clairement encadrées par le droit français et européen. Certaines allégations environnementales sont interdites, d’autres strictement réglementées. 

            Les sanctions peuvent être lourdes : 

            • injonctions de retrait ou de modification, 
            • amendes, 
            • actions en concurrence déloyale, y compris en B2B. 

                Le greenwashing peut donc coûter cher, très cher. 

                 

                III. La racine du problème : le modèle d’affaires 

                -1. On ne corrige pas un modèle par la communication 

                Un message responsable ne peut pas compenser un modèle économique fondamentalement incompatible avec les limites planétaires. 

                Mathieu Jahnich est clair : la communication responsable commence bien avant les mots. Elle commence par une question radicale : 

                À quoi sert réellement l’entreprise ? 

                Que crée-t-elle comme valeur ? Pour qui ? À quel prix environnemental et social ? 

                Tant que ces questions ne sont pas posées, la communication reste un vernis. 

                -2. Renoncer, bifurquer, transformer 

                Certaines entreprises devront renoncer à des pans entiers de leur activité. 

                Ce renoncement est difficile : 

                • il touche au chiffre d’affaires, 
                • à l’emploi, 
                • aux équilibres financiers. 

                    Mais sans renoncement, il ne peut y avoir de crédibilité. 

                    L’exemple de marques qui arrêtent volontairement des produits pourtant rentables montre qu’un autre chemin est possible : celui d’une transformation assumée, anticipée, structurée. 

                     

                    IV. La transparence : condition nécessaire mais pas suffisante 

                    -1. Dire ce qui est… et ce qui ne l’est pas encore 

                    La transparence est souvent présentée comme la solution miracle. Elle est indispensable, mais elle ne suffit pas. 

                    Être transparent, ce n’est pas seulement dire ce que l’on fait de bien. C’est aussi : 

                    • reconnaître ses limites, 
                    • expliquer ses arbitrages, 
                    • assumer ce qui reste à transformer. 

                        Une communication honnête accepte l’imperfection et s’inscrit dans une logique de progrès. 

                        -2. La proportionnalité des messages 

                        Un principe clé ressort de l’échange avec Mathieu Jahnich : la proportionnalité. 

                        • Une action marginale → une communication discrète. 
                        • Une transformation structurante → une prise de parole forte. 

                          Sur-communiquer sur un sujet secondaire expose immédiatement à la critique. Et affaiblit la crédibilité globale de l’entreprise. 

                           

                          V. Publicité, représentations et responsabilité collective 

                          -1. La publicité façonne nos imaginaires 

                          La publicité ne se contente pas de vendre des produits. Elle construit des normes sociales : 

                          • ce qui est désirable, 
                          • ce qui est valorisé, 
                          • ce qui est perçu comme normal. 

                              Voyager loin, consommer toujours plus, posséder des objets plus gros, plus puissants… Ces récits ont un impact direct sur nos comportements. 

                              -2. Peut-on continuer à tout promouvoir ? 

                              Certaines publicités posent aujourd’hui une question éthique majeure, notamment lorsqu’elles concernent : 

                              • des produits très carbonés, 
                              • des biens nocifs pour la santé, 
                              • des usages incompatibles avec les objectifs climatiques. 

                                  La question n’est plus seulement comment communiquer, mais sur quoi il est légitime de communiquer. 

                                   

                                  VI. Réglementation : vers la fin de l’impunité ? 

                                  -1. Un cadre juridique de plus en plus strict 

                                  Depuis quelques années, le cadre réglementaire s’est considérablement renforcé : 

                                  • interdiction de certaines allégations, 
                                  • encadrement des promesses de neutralité carbone, 
                                  • reconnaissance du greenwashing comme pratique commerciale trompeuse. 

                                      Les contrôles s’intensifient et les autorités commencent à communiquer sur les sanctions. 

                                      -2. La future directive Green Claims 

                                      Au niveau européen, la directive Green Claims pourrait profondément transformer les pratiques. 

                                      Objectif : 

                                      • imposer des preuves solides avant toute allégation environnementale,
                                      • limiter l’auto-déclaration, 
                                      • responsabiliser les annonceurs en amont de la diffusion. 

                                          Un tournant majeur pour les métiers du marketing et de la communication. 

                                           

                                          VI. Le rôle clé des équipes marketing et communication 

                                          -1. Des métiers en première ligne 

                                          Les communicants ne sont pas responsables seuls du greenwashing. Mais ils sont en première ligne. 

                                          Ils doivent désormais : 

                                          • comprendre les enjeux RSE, 
                                          • dialoguer avec les équipes R&D, achats, production, 
                                          • poser les bonnes questions, 
                                          • refuser certains messages. 

                                                -2. Former, structurer, co-construire 

                                                La prévention du greenwashing passe par : 

                                                • la formation des équipes, 
                                                • la mise en place de processus de validation, 
                                                • la collaboration étroite avec la RSE, 
                                                • l’écoute des parties prenantes internes et externes. 

                                                      Le marketing devient un métier de médiation et de responsabilité. 

                                                       

                                                      Conclusion – Moins de promesses, plus de cohérence 

                                                      Le greenwashing n’est pas une dérive marginale. Il est le révélateur d’un marketing en tension, pris entre impératifs économiques et limites planétaires. 

                                                      S’en prémunir ne consiste pas à se taire, mais à ré-aligner : 

                                                      • le modèle d’affaires, 
                                                      • la stratégie RSE, 
                                                      • et la communication. 

                                                          Un marketing immunisé contre le greenwashing est un marketing plus humble, plus exigeant, plus stratégique. 

                                                          Un marketing qui accepte de renoncer, de ralentir parfois, pour mieux construire la confiance. 

                                                          👉 Parce que le marketing durable n’est pas un discours. C’est un engagement de fond, au cœur de la santé des entreprises. 

                                                          Retrouvez d’autres épisodes du podcast Markoeur autour du marketing responsable :